Prologue de l'Evangile de saint Jean en langue indienne Mohawk
TSIDTODAGHSAWEN ne Logos keaghne,
etho Yehovahne yekayendaghkwe ne Logos, ok oni Logos ne naah Yehovah. Takwaién:a karonhiá:ke tehsí:teronAiesahsén:naienAiesawenniióhstakeAiesawennaráhkhwake nonhwentsiá:keTsi ní:ioht né karoniá:ke tiesawennaráhkhwaTakwá:nont né kenwénteNiationnhéhkwen, nia'tewenhniserá:keSasa'nikónr:hen né ionkwarihwané:renTsi ní:ioht ní:'i tsonkwa'nikór:henhsBothé:nen ionkhi'nikonhrasksá:tha nón:kwe.Nok tóhsa aionkwa'shén:ni né karihwané:renAkwé:kon é:ren shá:wiht né io'taksensAsekenh í:se sáwenhk né io'taksensAsekenh í:se sáwenhk né kanakeráhsera'Ka'shatstenhsera, kaia'tanehrakwáhtsheraTsi nienhén:we e'thó naiá:wen
Samedi soir. Très peu de lumières étaient allumées. Dans la cathédrale russe de Saints Pierre et Paul, les vêpres venaient de commencer. Les silhouettes sombres de quelques fidèles qui assistaient au service étaient devenues plus distinctes car des cierges avaient été allumés, un à un, sur leurs supports. L'iconostase de l'autel était très imposant, il avait été sculpté par des artisans expérimentés, au début du siècle...C'était la deuxième fois que je venais aux Vêpres, il y a de cela des années... Les paroles de la prière "Lumière joyeuse" en slavon donnaient une sensation de paix intérieure et de détente. Tout semblait être en prière à ce moment-là, dans ce jour qui était fini et ce jour qui devait venir. Après la folie de la journée, ce refuge de louange calmait effectivement les bêtes sauvages de l'esprit...Dans la faible pénombre, je pouvais distinguer quelques-uns des profils de ceux qui étaient là: une vieille dame russe avec sa petite-fille, un homme grand et maigre d'âge moyen, une jeune fille de près de quinze ans, une jeune famille avec ses deux enfants... Et soudain, mon attention fut attirée par un personnage près de la grande fenêtre. Directement au-dessous, je distinguai une silhouette qui était complètement différente de toutes les autres. Il s'agissait d'un Indien de cinquante ans, vigoureux, aux traits caractéristiques, avec des cheveux longs attachés en queue de cheval qui atteignaient sa taille. Mon regard s'arrêta sur lui... Quel étrange personnage ! J'imaginai que c'était seulement un visiteur.À la fin de l'office, je ne pus pas lutter contre l'envie de savoir. Je m'approchai de lui, désireux de le rencontrer.-Yannis, lui ai-je dit en anglais. Bienvenue...- Vladimir, répondit-il.- Je suis grec. Et vous? Lui ai-je demandé.- Moi aussi, répondit-il.J'étais abasourdi... C'était la dernière chose que je m'attendais à entendre!- Parlez-vous grec? Demandai-je.Il fit une pause pour réfléchir un moment, puis il cita [le prologue de l'Evangile de saint Jean] en grec:- "Au commencement était le Logos et le Logos était avec Dieu, et le Logos était Dieu."En finissant cette phrase, il éclata de rire. Je ne savais quoi dire.- Je suis indien, dit-il brusquement. Mais de toute façon, je me sens aussi russe et grec et serbe et roumain, parce que... je suis orthodoxe...Une lueur apparut dans son œil, comme dans mon coeur ...C'est ainsi que Vladimir et moi nous nous sommes rencontrés. Son vrai nom était Frank Natawe, avant de devenir orthodoxe et d'être baptisé sous le nom de Vladimir. Je mourrais d'envie d'entendre l'histoire de sa vie, à la fois par curiosité ainsi que par intérêt véritable...Beaucoup plus tard, nous sommes devenus amis. Nous avons partagé de nombreuses conversations et promenades ensemble, en particulier dans son village indien. Il m'a montré des voies et des manières de faire totalement inconnues pour nous les blancs. Et toujours de manière simple et sans prétention. Sans aucune trace d'arrogance. Quand j'étais avec lui, j'ai toujours eu la forte sensation d'être à l'école, et chaque fois que j'ai admis cela devant lui, il m'a toujours dit que toutes les belles choses étaient à tous...Cette première période est devenue inoubliable: quand j'étais emporté par mon enthousiasme juvénile et que je n'arrêtais pas de lui poser des questions difficiles, il répondait toujours calmement:- Je ne sais pas - peux-tu me le dire?Un jour, quand j'en eu assez d'entendre "Je ne sais pas", je le priai de me dire quelque chose, alors, il montra un peu de pitié et dit:- Eh bien, si tu insistes, je vais te le dire, après que j'aie d'abord demandé à mon amie.Il bondit et puis se coucha sur le sol, plaça son oreille contre la terre.- Que fais-tu? Demandai-je.- Je demande à la terre, dit-il, et avant que je puisse me remettre de ma surprise, il ajouta un peu hésitant:- Comme Aliocha Karamazov.Je n'ai jamais insisté à nouveau pour avoir des réponses. Je pense qu'avec lui, je vivais tout la surprise d'un éclair soudain qui donne naissance à une douce pluie qui nourrit la terre...Cela fait quelque temps maintenant, que Vladimir nous a quittés. Son décès (ainsi que ses dernières volontés et son testament) m'a bouleversé. Maintenant que le sentiment de sa présence, loin de disparaître dans l'oubli, apparaît devant moi de temps en temps, j'ai pensé que je devrais mettre par écrit l'ensemble de ses incidents, images, souvenirs, paroles et expressions, pour esquisser un portrait de sa présence parmi nous... Espérons donc que mon oreille percevra aussi... le silence tumultueux de la terre mère de Vladimir, Karamazov pour moi...Il est né dans la réserve indienne de Caughnawaga, juste à l'extérieur de Montréal, où il a vécu toute sa vie, jusques au jour de sa mort. Son village compte 5.000 Indiens aujourd'hui. Il a été construit par le gouvernement, à côté de la rivière, et abrite la plus grande partie des Indiens de cette région. Les Indiens, comme seuls vrais autochtones d'Amérique, avec les Esquimaux, jouissent de privilèges et de soins spéciaux, en raison du fait qu'ils ont cédé de vastes zones de leur "mère la terre", comme ils le disent, à leurs frères de race blanche.Ces privilèges (comme le fait de n'avoir pas besoin d'un passeport tout en bénéficiant de l'Etat-providence) sont parfois interprétés comme une tentative intentionnelle des Blancs pour garder les Indiens sans instruction, ce qui peut-être observé sur une grande échelle. Le pourcentage d'alcoolisme est très élevé. La lutte pour la survie en tant que groupe, est leur souci quotidien, ainsi que la préservation de leurs traditions, dont ils sont très fiers. Ils sont régis d'une manière unique, qui aurait beaucoup à apprendre à la politique "civilisée" et aux structures sociales.L'autorité suprême est la confédération de toutes les tribus indiennes. Il existe un respect envers toutes les tribus indiennes. Il existe un respect envers les chefs et les anciens, et les femmes âgées de chaque tribu, de génération en génération. Leur amour et leur respect pour l'autre est le fondement de la Confédération.Dans le village de Caughnawaga il y a essentiellement trois tribus indiennes. La plupart sont cependant Mohawks. Le village existe depuis environ 1600 et abrite le centre principal de la tribu des Mohawks. Les dernières générations sont le plus souvent impliquées dans la construction métallique et le bâtiment."Notre" village, m'a dit Vladimir, "ainsi que d'autres réserves indiennes a été transformé de façon à former un protectorat catholique romain au 18ème siècle. Les missionnaires catholiques ont effectivement essayé par tous les moyens de convertir par la force notre communauté tout entière. Pas avec l'amour, mais avec un nœud coulant autour du cou. Ils ont foulé aux pieds les traditions séculaires et ils ont utilisé les autres comme autant de tremplins pour leurs propres desseins. Moi-même, à l'âge de 32 ans, j'étais resté sur ce chemin. Comme ma mère avait l'habitude de le dire (c'était un chef tribal des personnes âgées de notre tribu)"Pendant le jour, [sois] catholique romain aux yeux du monde et de nuit, [sois] Indien, pour les yeux de l'âme." Mais à cet âge de 32 ans, Je ne pouvais pas tolérer ce genre de restriction, ce nœud coulant que je portais autour du cou, aussi je me suis révolté à ma façon... J'ai fait des recherches sur nos racines, j'ai appris toutes nos langues maternelles, j'ai étudié dans les universités de l'homme blanc (ce qui, pour un Indien de ma génération, était une chose très inhabituelle). Pendant des années, ils m'ont eu comme maître de conférence itinérante de linguistique comparée. Assez souvent, j'ai été assez malhonnête de jouer au clown à leurs jeux universitaires, car pour eux, j'étais une espèce d'oiseau rare, exotique, avec un autre type de plumage. J'avais l'habitude de comparer nos mots avec leurs équivalents français ou anglais, nos habitudes avec les leurs. Il y avait des fois où je me sentais observé comme des archéologues observent des fossiles. Pour moi, cependant, ces réunions, ces rencontres culturelles quelle qu'en ait été l'issue, étaient à la fois joie et douleur. Ma révolution tonnait encore en moi, parce qu'elle était rendue muette, comme le pas d'un lapin... Ma mère, pilier de notre communauté, a été pour moi une source de sagesse et de douleur immense. Elle était mon ... staretz Zossime indien..."(Il prit une respiration profonde et constante...)"Mon chemin vers l'Église orthodoxe a été un cheminement "secret", comme on dit dans notre langue. Il vint un moment, que j'ai été pris dans son filet, et depuis lors, j'ai cheminé très discrètement, portant une croix très lourde. Ce passage s'est fait pour moi par la linguistique. Elle a toujours été le sujet qui m'a le plus impressionné. En prenant des cours de linguistique, j'ai été impressionné, et quand il m'est arrivé de lire la vie des Saints Cyrille and Méthode, qui sont connus comme Apôtres des Slaves, j'ai été particulièrement intrigué par l'alphabet cyrillique et par voie de conséquence, par la langue slavonne. J'ai demandé à mon professeur, s'il n'y avait une chance je puisse entendre parler le slavon. Il a suggéré que je me rende dans l'une des églises russes. J'ai appelé l'une d'elle, mais je n'ai entendu que le répondeur. J'ai téléphoné le lendemain, et une voix amicale m'a informé que les vêpres avaient lieu à 7 heures du soir, et que le le service du dimanche avait lieu à 10 heures du matin. J'ai demandé si je pouvais y assister. Il m'a répondu bien sûr que je pouvais le faire. Je lui ai dit que je n'étais ni russe, ni orthodoxe. Il m'a répondu que la Liturgie orthodoxe n'était pas seulement pour les Russes ou seulement pour les orthodoxes, mais pour tous les peuples. Alors, j'ai pris mon courage et je suis allé un samedi soir pour écouter le slavon parlé et rencontrer le prêtre, qui avait parlé si agréablement. C'était un hiéromoine du Monténégro en Serbie. Son nom était Père Antoine... Il mort maintenant... Eh bien, donc le premier samedi pendant lequel j'ai assisté aux vêpres orthodoxes dans la cathédrale des saints Pierre et Paul, j'ai ressenti quelque chose qui était sans précédent. En regardant les icônes, en écoutant les mélodies, en observant la enclins de pénitence et les prosternations, le parfum de l'encens qui flottait dans l'atmosphère, tout me rappelait que j'avais découvert "la Voie secrète... ""Vous n'allez pas le croire, mais, de temps en temps, je peux percevoir des parallèles entre les traditions indiennes et la tradition orthodoxe. Quelque part en moi, cette découverte a rempli ma culture indienne et l'a complétée. Au début, je flottais sur les nuages. Au cours de ma première Liturgie, j'ai demandé si je pouvais rester, après les bénédictions pour les catéchumènes... Ils m'ont dit: vous pouvez rester. Alors je me suis assis comme un chien indien! Depuis lors, j'ai commencé à y aller plus fréquemment. Dans un premier temps, le dimanche seulement, puis le samedi, et plus tard, en semaine, quand il y avait des fêtes importantes. Ce n'est que peu de temps plus tard que j'ai remarqué que la confession avait lieu le soir, après les vêpres. C'était la période du Carême. A la fin, ils ont tous demandé pardon au prêtre. Il a placé son étole sur la tête et les a bénis avec le signe de la croix. J'étais dans la file, mais ils ont dit:-Tu ne peux pas, tu n'es pas orthodoxe. Il s'agit d'un sacrement.- Mais notre vie entière est un sacrement, ai-je dit.Je réfléchis encore, et leur demandai:- Alors, comment puis-je devenir orthodoxe?- Parles-en avec le prêtre, ont-ils suggéré.Peu de temps s'était écoulé, lorsque j'ai décidé que je voulais devenir orthodoxe. Le jour où cela devait avoir lieu, il y avait une tempête de neige qui ne me permit pas de quitter le village. Cela fut reporté à la fête de l'Entrée au Temple de la Mère de Dieu. Et voilà comment c'est finalement arrivé... On m'a donné le nom de Vladimir.Beaucoup plus tard, quand je me souvins de mon entrée dans l'Eglise orthodoxe, je retrouvai dans mes souvenirs la figure imposante d'un prêtre serbe, qui avait visité notre village, quand j'étais jeune. Son apparence et son attitude avaient laissé une impression profonde en moi. Je me souviens de ma mère qui avait fait cette remarque:-" Maintenant, voilà quelqu'un qui ne fait pas de propagande avec sa vérité..."Beaucoup de temps s'était écoulé, lorsque je décidai de lui rendre visite à nouveau. Cette fois, j'y suis allé avec deux de mes amis dans une petite voiture. Equipés de magnétophones et de microphones, nous sommes partis par un matin ensoleillé pour son village de Caughnawaga. Il avait suggéré que l'on se rencontre à la station de radio des Indiens car il était animateur à la radio depuis plusieurs années, et il nous avait promis des promenades et des conversations sur leur territoire.Nous l'avons trouvé à la station de radio du village, avec des écouteurs sur les oreilles, faisant la lecture de la prière du matin dans chaque langue indienne. Puis en français et en anglais. Naturellement son auditoire n'a pas... pu détecter qu'il faisait le signe de croix orthodoxe.Nous avons attendu avec respect qu'il ait fini... Il a enlevé son casque et s'est approché de nous ... Il était plus bavard que d'habitude, et plein d'entrain.- Que voudriez-vous que je vous dise? A-t-il demandé chaleureusement. Et que pourriez-vous jamais avoir eu envie d'apprendre de moi?- Dis-nous ce que tu veux, a répondu Gregory. Disons, par exemple, quelque chose sur ton peuple, tes fêtes, ta mission...- Tu vas trop vite, interrompit-il. Une chose à la fois. Eh bien, mon peuple ...Il lui a fallu un certain temps pour formuler sa réponse. Il était assis dans un fauteuil, mais a estimé qu'il n'était pas confortable pour lui... il l'a abandonné et s'est assis sur le porche avec nous... il préférait être sur le même plan que nous..."Mon peuple est simple, comme sa nourriture. Le chef de la tribu est un homme, mais il est élu par le conseil des femmes agées de la tribu. Tous nos rituels de groupe ont lieu dans la "longue maison". Elle a deux portes. Les hommes entrent par la porte de l'Est et les femmes par celle de l'Ouest. Il s'agit d'un édifice simple, comme le sont la plupart de nos rituels. Lors de nos mariages, la bénédiction des anciens fait partie intégrante du rituel. Au cours de nos funérailles, tant pour les hommes que pour les femmes, lorsqu'ils sont amenés dans la "longue maison" ils entrent par des portes distinctes, mais la tête du défunt fait toujours face à l'Est. Après neuf jours, nous préparons le repas de funérailles, mais sans sel... "Tout à coup il se leva brusquement, parce que le disque qu'il avait choisi pour être joué à la radio était bloqué. Il a mis un autre disque, a fait une annonce, et il est revenu vers nous..."De quoi parlait-on? Ah, oui! Les rituels. Je vais vous montrer la longue maison, avant qu'il ne fasse trop sombre... Alors, nos célébrations... L'année entière est une célébration (il éclate de rire). Nous avons la fête de la moitié de l'hiver (qui dure quatre jours), nous avons le Festival de la neige, le festival de la première floraison, de la première récolte, c'est-à-dire des baies, le festival de la moisson abondante (Thanksgiving), le festival du battage (4 jours), le festival du surplus, de la pluie et des semailles, et le cycle recommence... C'est quelque chose comme un calendrier ecclésiastique de notre terre sainte... "Il prit une autre respiration profonde et continua:"Nous ne parlons pas beaucoup, et nous ne mangeons pas beaucoup, nous ne vous fâchons pas souvent, nous aimons ce qui nous a été donné et nous remercions en permanence pour les dons généreux..."- Est-ce que par hasard tu aurais du tabac? M'a-t-il demandé.- Non, dis-je.- Vous savez, nous mâchons notre tabac, en d'autres termes, nous le mangeons. Nous ne le fumons pas. Lorsqu'on le fume, il se transforme en air, tandis que si on le mange, il devient un avec nous, et l'on bénit la terre qui nous l'a donné... Maintenant, que m'as-tu demandé d'autre? Ah, oui! A propos de ma mission..."Que puis-je dire? Mon peuple en a eu assez des missionnaires. Ils viennent ici depuis des années, principalement pour prendre plutôt que pour donner... Ils n'ont jamais montré aucun intérêt à ce que nous avons. Ils ont juste apporté leur rouleau compresseur, ils ont tout aplati, puis ils se sont embarqués pour faire leurs ... semis évangéliques.Mais ce Serbe était différent. Il a effectivement donné quelque chose par sa présence... Il n'a rien pris de nous, sauf un morceau de notre cœur. C'est ce que j'ai aimé, quand j'ai lu plus tard, l'histoire de saint Germain d'Alaska et des missionnaires orthodoxes parmi les Eskimaux... il est impossible pour l'esprit de ne pas faire de comparaisons... quand bien même il essaierait de toutes ses forces de ne pas le faire.Je me souviens encore de ce jésuite, qui m'a dit en face qu'on lui avait demandé d'enseigner la spiritualité. Quand il a quitté notre maison, ma mère a secoué la tête en signe de désapprobation, en disant: "Nous, mon enfant sommes un peuple spirituel, tandis que lui, même si son Christ venait à lui lui, il Le ferait s'asseoir pour lui prêcher..."- Y a-t-il d'autres orthodoxes parmi les Indiens? A demandé à nouveau Gregory.- J'ai rencontré un Esquimau orthodoxe à Plattsburg et un de plus - un très grand Mis Mac. Il y en a peut-être d'autres, je ne suis pas au courant. Mais à l'hôpital indien nous avons deux médecins serbes, les Moscovitch. Ces gens sont de véritables joyaux, ils ont un amour particulier pour notre monde, et ils offrent toute leur aide. "Lesley le regarda droit dans les yeux.- Parle-nous si tu le veux de cette histoire avec les masques indiens *. C'était dans tous les journaux et ils ont tous évoqué ton nom. Qu'est-il arrivé exactement?Vladimir assis, les jambes croisées, et après avoir pris quelques minutes pour réfléchir, me répondit:"Pour nous, ces masques sont sacrés. Nous les gardons toujours dans l'obscurité, et nous les protégeons avec un tissu de soie. Ils représentent... le personnage saint que nous recherchons. Nous le trouvons dans le silence, dans l'obscurité, où l'on trouve aussi la lumière de notre âme. Notre âme n'est jamais affichée dans des expositions, ou en éclairage artificiel... Ceux qui ont organisé l'exposition ont perdu tout sens de ce qui est sacré, et c'est pourquoi ils s'efforcent de "doucement" le supprimer de nos âmes aussi... Nous aimons la terre, parce qu'elle sait se taire et être fructueuse. Nous avons appris à l'aimer avec humilité, et à l'honorer... C'est quelque chose comme la Sainte Mère de l'Orthodoxie... puisque vous aimez les analogies. Mais, j' en ai trop dit... Levez-vous à présent, et je vais vous montrer mon village... "Nous sommes montés dans la petite voiture, et je me suis assis à la place du chauffeur. Vladimir était copilote. Il a commencé à nous montrer tous les points de repère:«Ici, dans le centre du village, vous pouvez voir l'église catholique. Elle est dédiée à Sainte Kateri Tekekwitha, une femme indienne que le prêtre a proclamé sainte. Nous gardons ses os dans cette église, ils accomplissent des miracles. Il s'agit d'un pèlerinage pour les laïcs. Sa vie est belle comme un conte de fées... Pour moi, c'était une folle-en-Christ... C'était une folle pleine de grâce... Elle se roulait dans la neige pour purifier son cœur... Mes compatriotes du village qui sont devenus catholiques ne sont pas particulièrement friands de la propagande catholique, mais ils montrent révérence à leur sainte, c'est leur pression sur le Vatican qui a amené sa béatification...A côté de l'église, il y a un petit musée. Là-dedans, vous trouverez une carte de la confédération, qui décrit en détail l'ensemble des tribus indiennes, les symboles, les chiffres, les endroits d'où ils proviennent, leur parcours historique, leurs langues... Tout est devenu une partie du... musée... Maintenant tourne à droite, ici... c'est notre Centre Culturel. Au-dessus, il y a la station de radio où nous nous sommes rencontrés... C'est de là que j'émets... Maintenant, pendant la période du Triode, et ensuite, pendant le Carême, je joue beaucoup de musique spirituelle de l'Occident et, peu à peu, j'inclus certaines parties orthodoxes, mais tout juste assez pour ne pas être provocateur. La musique spirituelle indienne n'est pas autorisée à la radio. Ce n'est que pour la "longue maison". Le centre culturel est soutenu financièrement par le gouvernement blanc. Les puissances extérieures, du monde "civilisé", veulent nous aider, mais uniquement sur le papier, en réalité, ils veulent nous noyer, nous humilier, nous épuiser, pas tellement nous, mais nos âmes et tout ce que nous portons. Ils veulent faire de nous des masques pour les musées, des clowns lors de fêtes, de la recherche pour les archéologues... Ils n'ont pas pris une bouffée de notre tabac, et ils ne se savent quel genre de... tabac nous préférons. "Il éclata de rire. Je perdis presque le contrôle du volant... je continuai à rouler en suivant ses instructions - gauche-droite - tout droit etc... Jusqu'à ce que, dans un virage de la route, nous ayons vu une structure moderne mais de forme très inhabituelle...«C'est notre école, école élémentaire et secondaire. Elle a un bon programme, je l'aime. Elle est vraiment indienne. Outre les sujets classiques de l'éducation de "blanc", nous avons beaucoup d'autres matières qui sont probablement inconnues des Blancs. Nous ne les appelons pas "coutumes" ou "culture", mais les manières "Indiennes", "les voies indiennes" (les sons de la terre), les danses indiennes, les chants et les cris indiens (comme un drame antique), la loi indienne, et d'autres choses. Les terrains qui entourent l'école sont sacrés. Nous avons aussi une "chambre noire", mais pas pour les photos... c'est pour la fabrication du... masque à l'intérieur de nous "- Va maintenant tout droit, vers l'Est. Continue, jusqu'à ce que tu trouves la route. A deux-trois kilomètres d'ici..."Voici notre hôpital. C'est un bâtiment neuf et c'est une idée nouvelle pour nous. Quelque chose de salutaire, je l'espère. Il a été construit en 1985. Avant cela, nous avions nos propres hommes-médecine, ou nous avions recours à des hôpitaux de l'homme blanc. Mais... ils étaient difficiles... La plupart de leur personnel n'était pas habitué à nos manières, il était difficile pour eux de s'occuper de nos vieux. Ils doivent être à notre place, afin d'essayer de comprendre... Beaucoup d'entre eux essaient de le faire. D'ailleurs, on peut dire qui aime vraiment et qui peut être discerné parmi les professionnels habituels..."Vladimir Natawe était le chef de sa tribu, il était leur chef spirituel. C'est lui qui récitait les textes à leurs funérailles et à leurs mariages, il était quelque chose comme un prêtre pour eux. Dans la soirée, il restait assis les jambes croisées dans la "longue maison", à l'écoute des problèmes de son peuple, pour les résoudre avec les conseils qu'il offrait. Il avait le rôle d'un juge, ce qui était l'une des traditions les plus puissantes. C'était un poète et un traducteur, mais aussi un philosophe. Il connaissait leurs problèmes mieux que quiconque, il connaissait aussi les lois strictes qui régissaient leurs tribus. Ceux qui reniaient leurs principes ancestraux et devenaient chrétiens étaient autorisés à rester dans le village, mais on ne leur donnait aucune position. Ils devaient quitter le Conseil des sages, des vieillards, ils "perdaient leur destin", comme on l'a décrit à leur manière spéciale, ils étaient désavoués. Tout cela pouvait ne pas être d'une grande signification pour un Indien ordinaire, mais pour un chef...Personne dans le village n'a jamais su, jusques en ce jour où il est mort, que leur chef était chrétien orthodoxe. Et Vladimir, qui était Frank pour eux, a vécu et travaillé avec eux, pour eux, avec la crainte toujours présente qu'ils pourraient le découvrir. Il a dû être perpétuellement modéré, attentif, flexible, sinon son image aurait été brisée en eux. Il était en charge de la station de radio pendant des années, et il a également travaillé à leur centre culturel. Il était considéré comme une autorité sur les sujets concernant la tradition, et il était incroyablement touché, chaque fois qu'il trouvait des "parallèles", comme il les appelait, dans la tradition orthodoxe. Il partagea beaucoup de ses expériences avec nous, parce qu'il ne pouvait pas les partager avec son propre peuple. Quelle lourde croix à porter...Chaque fois que je le voyais sortir du sanctuaire de la petite église orthodoxe de la Mère de Dieu, qui avait des offices en anglais et en français, habillé en servant et tenant un cierge devant les prêtres et les évêques, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander quel genre de cœur ce vieux loup indien avait en lui, qui lui disait en permanence: "Dieu le sait". Et il se prosternait toujours sur le sol, afin que Dieu lui donne l'illumination de gouverner son peuple à travers les tempêtes et les épreuves, et lui donne la force de tenir la lourde charge qui lui avait été donnée, jusques à la fin.Les années passèrent. Chaque ami qui nous rendait visite à Montréal devait faire le voyage obligatoire vers ce village indien pour rencontrer Vladimir. Et beaucoup d'entre eux m'ont dit qu'ils avaient mis sur le papier leurs propres expériences là-bas.Un matin, j'ai reçu un appel téléphonique à Montréal, me disant que Vladimir était décédé dans son village. La question qui surgit dans mon esprit était: qui va l'enterrer, que va-t-il advenir de lui? Il avait toutefois laissé des instructions, écrites et précises pour tous les rituels à faire dans la tradition indienne dans la "longue maison" et pour qu'un prêtre orthodoxe lise des bénédictions sur son corps. Naturellement, les Indiens n'avaient aucune idée de ce qu'il entendait par "un prêtre orthodoxe", mais il avait laissé quelques numéros de téléphone aussi.Ils ont effectivement téléphoné, et un prêtre orthodoxe est venu réciter le service funèbre avant qu'ils ne portent Vladimir dans la longue maison.Malheureusement je n'ai pas eu l'occasion d'assister au rituel dans la longue maison, mais un ami commun qui ont assisté à l'enterrement m'a transmis les détails.Deux jours après les funérailles, ce même ami, Michael, m'a apporté les nouvelles, et un paquet. Il m'a dit qu'il avait assisté à tout le rituel. C'était vraiment impressionnant. Quand ils vont à la longue maison, les Indiens mettent des vêtements qui correspondent à leur rang dans le village. Le rituel, qui était bien sûr dans leurs propres langues, avait une forme particulière, un peu comme l'ancien type byzantin. À la fin, le testament du chef de tribu a été donné en lecture à haute voix, devant toute la tribu. Dans son testament, il a mentionné où il laissait chacun de ses biens. Vladimir avait 75 ans tout au au plus. Il avait des enfants, des petits-enfants et des arrière petits-enfants. Il laissa quelque chose à chacun des membres de sa famille. À un moment, l'indien qui donnait lecture du testament a éprouvé quelques difficultés à lire un nom qui n'était pas indien et, après avoir grimacé un peu, il a mis ses lunettes et a prononcé le nom, d'une manière déformée de la façon suivante: "Ya-nis Ha-dji-ni-ko-la-ou ". Mon ami Michael leva la main et on lui donna le paquet, qu'à son tour il m'a donné.Quand j'ai ouvert le paquet, j'ai vu ce qui était à l'intérieur: c'était un livre, "La Divine Liturgie", en grec et en anglais, que je lui avais donné il y a de nombreuses années. A l'intérieur, sur la première page, il y avait écrit: "Pour Yanni", et en dessous, en grec: ""Καλή αντάμωση"(A nos retrouvailles!/ Au revoir!)- Vladimir Natawe". J'ai pris cela comme un geste très aimable de sa part, il avait en effet inséré ces mots avant son départ définitif, peut-être parce qu'il avait senti que sa mort était proche. Il avait écrit en grec les mots pour dire "au revoir". Bien entendu, la surprise ne s'arrêtait pas là: il y avait encore autre chose. Lorsque j'ai feuilleté le livre, j'ai été stupéfait, bouche bée... Il avait traduit l'intégralité du texte de la Liturgie en langue mohawk, au-dessus des lignes du texte anglais! Bien sûr, je ne peux pas lire le mohawk, mais je tiens à ce livre comme à un souvenir, cette Liturgie orthodoxe traduite par Vladimir en langue indienne, toute la Liturgie de Saint Jean Chrysostome... Si Dieu m'accorde cet honneur, peut-être que je la publierai une jour...Des histoires contemporaines comme celle-ci peuvent sembler être comme un conte de fées, parce que notre vie semble également fugitive. Et pourtant, ces histoires sont remplies d'une lumière sans déclin, elles sont les témoignages modernes de cette bienheureuse "folie", de cette levure qui fait lever toute la pâte, de la petite église au sommet d'un îlot de la mer Egée, aux lointaines réserves indiennes du Canada.Au revoir Vladimir... Karamazov...
Version française: Claude Lopez-Ginisty